L'autisme, un défi pluriel
Le trouble du spectre autistique (TSA) agit comme une force opaque, une lame de fond développementale. Malgré ses aspects fascinants, l'autisme reste un dérèglement grave à géométrie variable car il altère la qualité de la vie en permanence. Il agit comme un intermédiaire hostile ou capricieux entre l'individu atteint et son milieu. Tout transite par ce tiers acteur. Il travestit le commerce de la personne avec l'environnement et peut puissamment l'entraver. Les écoles, les centres de réadaptation, les garderies, les familles surtout font face à ce défi. Les personnes atteintes elles-mêmes, au premier titre, composent avec un tiers omnipotent. Et les familles encore davantage et parfois à un degré insupportable. Des formes sévères d'autisme aliènent certains des individus atteints ; leur comportement devient aberrant. Observés en regard des lois de l'apprentissage, le fonctionnement de ces personnes emprunte des routes tortueuses, pleines d'impasses. Comparées aux mécanismes courants du développement, ces voies restent dérogatoires.
Les expériences de vie des individus du spectre autistique sont mal harnachées. Elles obéissent à une dynamique réfractaire, qu'impose leur condition. Le handicap surtout social trahit une organisation psychique atypique prompte à exposer ses caprices. Or des formes hybrides de la condition se jouent des tentatives d'explication et donnent une apparence d'accomplissement. Ainsi, le syndrome savant chez certains individus de haut ou de bas niveau cognitif, syndrome révélé et étudié avec fascination, phénomène obnubilant qui confirme l'existence d'interfaces perceptuelles et cognitives capables de performances inouïes, mais très captives et dédiées, par exemple en mémoire de calendrier, calcul mental, musique, dessin, sculpture, langues, etc. Ces interfaces de calibre supérieur que possèdent des personnes sur le spectre se superposent parfois à des répertoires pratico-pratiques dysfonctionnels. Ce sont des géants aux pieds d'argile. L'un parle 15 langues, mais ne peut attacher les lacets de ses souliers ou traverser la rue sans aide. D'un point de vue épistémologique, il y a de quoi vaciller. Mais le comble du mystère est atteint à un autre niveau : bien que peu décodé à ce jour, réfractaire aux interprétations, l'autisme est néanmoins une condition transformable en partie.
L'existence d'un continuum autistique couvrant des gradients et les configurations hétérogènes d'une entité foncière, homogène et unique domine le courant actuel de pensée en sciences thérapeutiques et éducatives. Ce spectre est au confluent de la neurotypie et de la déviance. Il participe de l'un et de l'autre. Or les formulations du phénomène de ces psychismes différenciés regorgent d'ambigüité. Les nomenclatures sont boiteuses. Elles attendent des conceptualisations plus articulées. On escompte qu'elles déboucheront sur une théorie unifiée de l'autisme. L'exigence est que cette théorie soit apte à en expliquer les manifestations plurielles, ainsi qu'à énoncer l'algorithme commun. Les construits explicatifs, à commencer par celui de spectre de l'autisme, laissent des zones d'ombre. Certains ont cru déceler dans l'autisme une nouvelle forme d'intelligence, annonçant pour d'autres une race de quasi-mutants. C'est de voir la réalité dans le prisme de la fascination naïve, d'où méprise et mystification. La révision du DSM (sa version 5) n'a pas placé l'ensemble des physionomies de la condition sous un jour cohérent. Une erreur grossière, pour n'en relever qu'une, est d'avoir évacué l'appellation de « syndrome d'Asperger ».
Nonobstant l'indigence des descriptions courantes, pour la première fois de son histoire nosologique, l'autisme se voit reconnaître un caractère propre. Psychose et retard mental en sont dissociés. On affirme, du moins à un certain degré, qu'il y a perspective pronostique de rémissibilité.
La fin de l'époque Bettelheim, avec sa mort en début des années 90, cet auteur de La forteresse vide, l'homme fort de la notion de mère-frigidaire, ce psychanalyste patenté et imposteur notoire ( http://en.wikipedia.org/wiki/Bruno_Bettelheim) a sonné malgré lui la libération de l'autisme. Le tournant pris vers les années '80 change en effet la direction du départ pour les autistes, antérieurement regroupés avec la psychose infantile et le retard mental. Commence alors la lente appropriation de l'autisme par les sciences médicale et psychologique. Dès lors, l'action sanitaire et éducative situe sa prise en charge dans les paramètres de la science, de l'entreprise de soins et du projet éducatif, plutôt que de l'introspection analytique, de la psychothérapie des profondeurs et de l'arbitraire freudien ou lacanien. Ce sera long et douloureux de sortir de ce trou. Sur trois décennies, les années '80, '90 et 2000, un tel investissement modifie lentement le panorama sociologique de la condition. Ainsi, la professionnalisation des soins met fin aux pratiques d'institutionnalisation. Lentement, les représentations du trouble changent. Bien sûr, on renonce à inculper les mères tellement l'énormité de cette croyance frappe. La théorie de leur froideur affective, présumée responsable de l'autisme est donc écartée, reconnue vicieuse, injuste et fausse. L'attitude d'apparent détachement de certaines mères s'avère n'être que réactionnelle à l'absence de réciprocité. Cette volte-face paradigmatique ouvre la voie à la recherche et à la mise à l'essai de traitements empiriques, à données probantes.
Les profils de l'autisme, visages du TSA
L'autisme est spectral. Il se décline en quatre profils successifs, de sévérité décroissante, chevauchant une trame développementale unique : l'autisme de Kanner avec déficience intellectuelle, l'autisme de Kanner sans déficience intellectuelle, l'autisme atypique (le TED-NS) et enfin le syndrome d'Asperger. Bien que les recherches sur le cerveau autistique fassent des avancées régulières, pour l'instant le spectre autistique englobe de disparates entités et constitue un regroupement mal dégrossi. Ainsi, l'Asperger est en quelque sorte un autiste manqué, un échappé de la captivité autistique. Le TED-NS, apparaît être un Asperger mitigé. Mais la catégorie TED-NS est imprécise et révèle toute l'indigence de la nomenclature psychiatrique: sa propriété est d'admettre des atypies autistoïdes et aspergoïdes variables, presque sans limite. En somme, le phénomène du spectre autistique comporte une multiplicité de formes et de degrés de sévérité. Leur base commune n'est pas claire, si ce n'est qu'ils participent à une condition marquée de fracture sociale, de brouillage de communication et de dislocations cognitives, en plus d'un cortège de difficultés et de comorbidités associées.
L'autisme : neuro-diversité ou tragédie?
L'autisme n'a pas de visage. Il ne se représente pas. Cependant il est bien connu, bien identifié et repérable, Typiquement, il se tapit dans l'ombre de la vie naissante, telle une force ombrageuse venue s'installer dans le développement. Pour le dominer, le contraindre, pour altérer son parcours. L'autisme pénètre dans la vie humaine et devient un fait courant : 1 sur 110, 1 sur 68, maintenant 1 sur 45 (CDC, 2016).
Pour le révéler, pour l'interpeler, rien de tel qu'une scène de maternité en sculpture: un enfant dans le sein maternel, le big bang de toute vie. Cette sculpture qui est un témoin immuable, a été placée en salle commune à la Clinique Autisme & Asperger de Montréal. Sait-on ce que cet enfant deviendra? Ce qu'il sera une fois sorti et déployé? Son sexe est connu, derrière la paroi. Quelques caractéristiques aussi, mais côté personnalité, rien. La surprise est entière. Mirage d'harmonie, promesse ou autre chose?
Sera-t-il normal ou sera-t-il modifié, ce petit d'homme? Sera-t-il différent tout en étant semblable? Sera-t-il autiste? Conçoit-on qu'on dise à ces parents : « il sera porteur de neuro-diversité ». Conçoit-on qu'on leur dise : il sera sur un spectre : l'autisme. Une panique folle s'emparerait d'eux, aussitôt.
L'autisme serait une manifestation de la neuro-diversité humaine. Laquelle transformerait lentement l'humanité, vers une autre forme. Une étape post-humanoïde, un épisode de la grande chaîne de l'évolution. L'on voudrait ne voir dans l'autisme qu'un maillon prometteur qui annonce des états de conscience supérieurs, nouveaux, avancés. Une autre intelligence. L'étape obligée d'une mystérieuse et prometteuse mutation.
L'enfant que cette femme porte illustré en rondeurs élégantes par le sculpteur québécois Clément Lemieux, est peut-être autistoïde, forme courante de la condition, mutant en somme. Cette femme ne sait pas ce qu'elle porte, qui elle enfantera. Elle l'apprendra après. Mais l'espoir qui vibre en elle est celui d'une vie démultipliée de potentialités, pas une vie d'entraves.
Or ce fœtus, cette naissance a le pouvoir de changer la vie, sa vie, la vie du bébé, changer la vie de son autre enfant, et leur vie commune aussi. En refusant la vie ordinaire, le gabarit traditionnel, cette naissance annonce aussi un drame. Des yeux qui ne regarderont pas les yeux de la maman. Des mains, des bras qui ne se tendront pas. Une étreinte morte-née. Suivie de recouvrements partiels et mitigés. Une vie plombée de contingences. Un développement en dents-de-scie, des tourments innombrables.
Que réserve le futur aux enfants autistes et aspergers? Est-t-il porteur de belle lumière ou plongé dans un noir abîme?
À la sortie de l'enfant, demain, ce seront des Troubles. Multiples. Celui de l'attachement : perdu. Celui du rire : perdu. Des pleurs inexplicables, des crises. Celui de l'interface allumée avec le monde : perdue, maladive. Le sommeil : perturbé. L'alimentation : ravagée aussi, pique-assiette. Cris, douleurs. Rigidités, obsessions, hébétude. Enfermements. Rupture ou quasi-rupture. Neuro-diversité, peut-être, mais éclatement,dramatique, rarement joyeuse. L'autisme de l'enfant mettra peut-être en échec les mouvances d'amour de ses parents, étouffera l'étreinte maternelle. Il entravera puissamment l'expression de la vie naissante. Il tuera des espoirs.
Ravissons-lui l'âme des enfants à naître, restaurons des vies à déployer, des personnes à grandir. Traitons l'autisme. L'autisme vient avec des forces, des talents, des intensités. Harnachons les excès, canalisons les tumultes, comblons les déficits. Endiguons les troubles. Donnons l'aide vers la liberté, l'accomplissement.
# World Health Organization. International Classification of Diseases. 10th Revision. Geneva, Switzerland: World Health Organization; 1994.
Normand Giroux est professeur associé et chargé de cours au département de psychologie de l’UQÀM. Son enseignement est concentré au diplôme d’études supérieures en intervention comportementale chez les personnes présentant un trouble envahissant du développement. Il est notamment responsable du cours PSY7500 (Développements récents en TED) et du cours PSY7503 (Analyse appliquée du comportement II), deux cours du diplôme. De plus, il supervise des stages dans ce même programme. Il compte à son actif une douzaine de telles supervisions, en milieu de réadaptation, d’éducation ou de garde d’enfants. Normand Giroux agit à l’occasion comme membre de comités de PRD (projets de recherche doctorale) ou de jurys lors de soutenance de thèse de doctorat dans diverses universités. Il est co-directeur d’étudiantes au doctorat au Laboratoire des sciences appliquées du comportement du professeur Jacques Forget et est également membre de ce Laboratoire. Il a publié divers articles touchant des thèmes et des sujets liés à ses champs d’expertise.
Normand Giroux pratique comme psychologue dans le domaine des troubles du spectre autistique. Son approche est l’analyse appliquée du comportement, dont l’une des formes privilégiées qu’il utilise est l’enseignement de précision clinique. La conduite d’évaluations diagnostiques différentielles ou de bilans du développement, l’élaboration de plans d’intervention clinique, la conception et l’application de programmes de stimulation précoce intensive, la mise en œuvre de projets d’intégration scolaire, l’établissement de stratégies pour des défis d’adaptation sociale, chez des personnes du spectre autistique, sont les principaux mandats qu’il accepte. Le soutien et l’orientation parentale figurent aussi parmi les motifs de demandes de consultation qu’il reçoit. On peut le joindre au 1 450 298-5228. Son bureau de consultation est situé au 1250 boul. Saint-Joseph est, local. #1, Montréal, H2J 1L8.
L'évaluation diagnostique différentielle
Normand Giroux entreprend sur demande des évaluations diagnostiques différentielles des troubles du spectre; il formule un diagnostic psychologique et des recommandations. Son activité, en cette matière, s'inspire du Guide des pratiques exemplaires canadiennes: dépistage, évaluation et diagnostic des troubles du spectre de l’autisme chez les enfants en bas âge (Fondation Miriam, 2008).
L'établissement d'un diagnostic de syndrome d'Asperger exige pour sa part des outils spécialisés. Dans le choix de ces moyens, Normand Giroux empruntent aux lignes directrices de Matson & Boisjoli (2008): Strategies for Assessing Asperger's syndrome: A Critical Review of Data Based Methods.
Strategies for assessing Asperger’s syndrome
Outre des plans individualisés d'intervention comportementale intensive précoce qu’il met au point et supervise en s'inspirant des programmes de Lovaas, de Maurice, de Leaf & McEachin, etc,.Normand Giroux peut articuler des régimes d'intervention intensive de haut niveau, notamment pour la période scolaire. Ces plans de leçon sont généralement destinés à l'acquisition d'habiletés cognitives et sociales supérieures chez des personnes du spectre sans déficience, telles les personnes Asperger.
Ce « traitement » implique un régime d’intervention soutenue et continue, idéalement d’au moins 25 heures par semaine pendant les années de la prime enfance (prolongée au maximum), avec une décroissance de cette intensité au fur et à mesure de l’avancement en âge en cours de l’enfance et de l’adolescence, et jusqu’à l’âge de jeune adulte. Dès lors, l’intervention devient ponctuelle.
De façon générale, en matière de services, Normand Giroux suit les recommandations du Guide des pratiques évidentielles de l'Ontario.